Plus de 30 actrices et des plus belles ( Faye Dunaway, Mylène Demongeot, Lana Turner, et dernièrement Eva Green) lui ont donné corps et voix. Elle est devenue une légende malgré le fait que Dumas lui ai donné si peu d’incarnation mais tellement d’action. Milady de Winter est une des grandes prédatrices de la littérature. Adélaïde de Clermont-Tonnerre entreprend ici de s’introduire dans l’atelier de Dumas et d’écrire sa version de Milady.
Milady est vénéneuse, sans conscience et l’âme damnée du Cardinal de Richelieu d’après Dumas. Et c’est bien de cette damnation que part Adélaïde de Clermont-Tonnerre pour écrire sa Milady. Notons bien sur qu’elle n’est pas la seule à s’être lancée dans cette gageure : que cela soit en BD, en film ou en roman, Milady fascine.
Ici le dispositif choisi est celui de donner la parole à D’Artagnan qui au soir de sa vie se confie et s’épanche sur ses regrets : le plus grand d’entre eux étant l’exécution de cette si belle femme, sans jugement. Le dispositif est ingénieux et emprunte à ce qui a inspiré Dumas lui-même pour son oeuvre, issue de sa lecture d’un manuscrit des “Mémoires de Monsieur d’Artagnan” de Gatien de Courtilz de Sandras. Les péripéties du récit sont connues de tous, elles sont rigoureusement identiques. Mais là où Adélaide de Clermont-Tonnerre viole l’histoire, c’est évidemment dans la grande question du : Pourquoi ?
Depuis Orangina, nous savons tous que “Pourquoi est-il aussi méchant ?” ne devrait avoir qu’une seule réponse : Parce que. La cruauté, la malignité, le vice ne devraient pas se justifier. Pourtant, l’intention est constitutive de l’infraction et mène aux circonstances atténuantes. Et Milady en a beaucoup et une principale : c’est une femme donc c’est une victime dans un siècle d’homme.
La faute originelle menant à la flétrissure est connue de tous, elle a séduit, un homme de Dieu en plus. Alors, il est vrai qu’il faut être deux pour danser le tango et que le niveau de misogynie de l’époque crève tous les plafonds, de verre ou de chapelle. Mais la colère face à l injustice subie , cet endurcissement patient, doublée du volonté farouche de vivre libre est un ressort classique et à vrai dire facile pour une relecture. Parce que ce qui reste c’est quand même une femme qui obéit et est soumise à un homme, le Cardinal de Richelieu, qui lui est du mauvais côté dans une sombre histoire de ferret, comme vous le savez.
Adélaïde de Clermont-Tonnerre rend tout ceci très plaisant, et qui ne succomberait pas au charme de conteuse de Milady, pour peu que cela soit proprement fait ? Mais ce qui aurait vraiment changé la donne et la lecture du destin de Milady face aux Mousquetaires aurait été d’en faire une véritable lecture politique et pas que dans la posture féministe. A quand une Milady de Winter qui devient espionne par vocation, envie d’aventure, et patriotisme ? Parce que l’on pourrait aussi relire l’Histoire en faisant justice au sens politique de Richelieu et à sa volonté de servir son Roi et la France. Milady pourrait aussi être cette française par choix qui refuse de trouver que le fait que Madame la Reine de France s’amourache d’un Duc anglais soit la panacée de la diplomatie étrangère, alors que l’on gère encore les conséquences de la Réforme avec peine et les Trois Mousquetaires seraient alors de stupides brutes obéissantes à leur commandement militaire qui n’ont pour horizon intellectuel qu’une vision adolescente de l’amour. Milady pourrait être une femme libre, qui se veut seule et qui assume sa cruauté, parce qu’après tout, c’est humain et que la fin l’emporte sur les moyens. Et ça, cela serait une relecture que j’aimerai lire.