Le fou de Bourdieu de Fabrice Pliskin

“Je préfère me débarrasser des faux enchantement pour m’émerveiller des vrais miracles” a écrit Pierre Bourdieu. Fabrice Pliskin a-t-il donc accompli un miracle avec cette narration qu’on pourrait presque qualifier de fable ? Réussit-il à démystifier ou à réincarner le penseur officiel qu’est devenu Bourdieu ?

Il faut reconnaitre au Cherche-Midi d’être fidèle à sa ligne éditoriale qui a toujours été faite d’humour et d’originalité. Le résumé de ce roman de Fabrice Pliskin vous convaincra que l’auteur a trouvé la bonne maison d’édition. Antonin Suburre vit une vie tranquille et heureuse de gentiment bourgeois de province en tant que bijoutier à Brioude. Il a une femme racisée qu’il aime, il s’est fait à la force du poignet et il est heureux. Et soudain, un cambriolage, le drame d’homicider son détrousseur : c’est la prison. L’irruption de la violence de la lutte des classes sociales dominées face au déterminisme capitaliste par tous les moyens et surtout les plus illégaux saute aux yeux d’Antonin dans la bibliothèque de la prison où il se réfugie : bref Antonin lit Bourdieu et sa vie prend un sens. S’en suit un chemin de conversion et de rédemption : Antonin veut donner corps aux principes de Bourdieu, dans le réel. Son arrivée à Paris où il rencontrera un jeune homme du même nom que celui dont il est le meurtrier lui offre le cadre de ce projet : envers et contre tout et surtout contre la volonté même du dit jeune homme identifié comme dominé, Antonin mènera la lutte pour lui rendre justice.

Le dispositif du roman est plus que plaisant. Confronter ou plutôt cogner la théorie à la pratique a toujours une saveur particulière et parfois, les péripéties imaginées par Pliskin ne peuvent que vous arracher le sourire ironique du bon sens. Vous vous retrouveriez presque dans la position de l’oncle beauf de Noel qui vous regarde avec pitié en vous assénant le fameux : ” Je te l’avais bien dit, c’est du bon sens.” Vous souriez mais cela vous déprime un peu … et pourtant, c’est réel et c’est juste. Les envolées d’Antonin dans le monde bourdieusien sont un écho parfait à notre petit monde médiatique français, tellement endogame et qui répète à l’envie ce qu’il n’a jamais pris le temps de lire véritablement et qui refuse la confrontation avec le terrain.

Même si dans la vie, parfois l’on s’ennuie, rien n’obligeait l’auteur et l’éditeur à l’imposer au lecteur. Deux cents pages de moins auraient sans aucun doute donné un rythme à cette tragicomédie qui aurait été de bon aloi. Les morceaux de bravoure critique sont noyés dans les circonvolutions dépressives, et le lecteur en vient à souhaiter que le fond du trou n’amortisse surtout pas la chute. Dommage, parce que celle du roman est excellente.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *